Mon Seigneur Grâce à Dieu, j'ai passé le temps le plus fort de mes peines. J'ai laissé le Canada, le 23 du mois dernier. Je me crois passablement bien. Je suis heureux de pouvoir vous apprendre ces nouvelles. Car je sais que vous n'avez jamais cessé de vous intéresser à moi. Et qu'il est agréable de me rappeler la visite que vous avez daigné me faire à l'asile de Beauport. Je bénis Dieu de m'avoir humilié; et de m'avoir si bien fait comprendre ce que c'est que la gloire humaine; combien vite elle passe; et combien vaine elle est pour celui qui, après avoir un peu capté l'attention des hommes, sent tout d'un coup la main de Dieu s'appesantir sur lui. Béni soit Dieu qui m'a effacé, en quelque sorte, tout vivant de la pensée et de la faveur de ceux qui considéraient ma conduite comme louable. Les raisons que Dieu a eues de me disgracier tout à fait, sont dures. Mais elles ne laissent pas pour cela d'être aimables. Car j'emploie toute ma bonne volonté à être soumis et résigné. Monseigneur, après ce qui vient de m'arriver, je n'ai pas besoin d'expliquer à votre grandeur qu'elle est ma position; vous la comprenez, on ne peut mieux. Ma résolution est d'aller me fixer d'aussi bon printemps que je pourrai, sur une terre dans le Nébraska. Je me plairai davantage dans un climat tempéré. Ma Santé y regagnera. En me mettant à une bonne distance de la Rivière Rouge, je serai plus tranquille: non pas que je vise à m'éloigner de mon pays, de mes parents et de mes amis, mais je crois que les circonstances veulent cela de moi. Quand j'étais à l'asile de Beauport, je ne savais pas combien de temps s'écoulerait avant ma sortie; et je craignais que, pendant ce temps, ma mère n'éprouvât beaucoup de privations. C'est pourquoi je lui ai donné tout ce que j'avais de terre à la Rivière Rouge. J'ai fait cet acte de plein gré et sans contrainte aucune; mais les circonstances ont changé. Si maman le veut bien et si elle peut assez facilement se dispenser de la terre que j'avais à la Pointe à grouette et de la moitié de la terre qui est située dans St Boniface à côté de celle de Daniel Carrière, je les mettrai en vente; et si vous vouliez les acheter, je vous les offre. Car j'ai besoin d'argent. Si vous ne me les achetez pas vous-même, je les offre au Révérend Monsieur Ritchot. Je vous offrirais bien l'emplacement qui vient d'Edouard Elémont et qui est situé sur la Rivière la Seine, mais maman l'a peut-être déjà vendu: et quand bien même elle ne l'aurait pas encore vendu, elle a sans doute besoin de le vendre. Et je ne peux pas ôter cette vente à la maison qui attend peut-être après cela pour beaucoup de choses.Monseigneur, vous me feriez bien plaisir, si vous vouliez d'une manière ou d'une autre me laisser savoir quelle possibilité il y a pour moi de vendre les terres que je vous ai mentionnées. Que Dieu vous conserve. Et que votre santé fleurisse. Je vous souhaite du bonheur et du succès dans les entreprises dont vous êtes chargé. Je prie pour vous tous les jours; et pour vos saints prêtres; afin que vous ne manquiez jamais des secours dont vous avez besoin contre la force de ceux qui n'aiment pas l'église catholique et qui cherchent partout à anéantir ses intérests sacrés. Veuillez juger de moi par mes paroles. Car elles sont vraies. J'ai l'honneur d'être, Monseigneur, Votre très humble et fidèle et reconnaissant serviteur Louis Riel.