Lorsque durant la session Législative de 1871, nous nous sommes aperçus que Messieurs Girard, Clarke, Boyd et Howard étaient indignes de la confiance publique, nous avons regretté le malheureux concours de circonstances qui avaient mis les destinés du pays entre les mains de ces hommes. Cependant nous fûmes d'avis qu'il ne fallait pas se séparer ouvertement d'un gouvernement qui, avec l'assistance du Lieut.-gouverneur, pouvait sinon faire du bien, du moins ne pas faire trop de mal. Patienter devint notre devise à tous. D'ailleurs le régime militaire achevait et il fallait ne rien compliquer. C'est alors que le Métis, dont les presses avaient passé l'hiver en chemin, fut fondé et commença de paraître en Mai. Sept grands mois s'écoulèrent durant les quels nous eûmes à louer beaucoup, et trop exclusivement peut-être la conduite du Gouverneur; car jamais les ministres ne firent un seul acte de fermeté, d'énergie ou de bien pour mériter qu'on en parlât. Impossible de citer en effet une seule occasion dans laquelle M. Girard ou M. Clarke se soit occupé effectivement de faire rendre justice à M. Riel, de travailler au règlement des réserves, ou de faire respecter l'ordre et la justice autrement que pour laisser emprisonner par la police, les Métis que les volontaires assommaient dans Winnipeg. Néanmoins nous avons attendu pour voir si M. Clarke, ou M. Girard se déciderait enfin à montrer qu'ils n'étaient pas ministres simplement pour empocher les $2,000 de leur place. Le gouverneur agissait seul. C'est à lui seul que la population s'adressait. Mais comme S.E.M. Archibald ne pouvait suffire à tout faire, il en est résulté que les plaintes sont devenues générales. Rien ou presque rien ne s'est fait. Le gouvernement n'a pas même pu établir une traverse respectable sur l'Assiniboine et la Rivière Rouge! Du côté des anglais mêmes murmures, même mécontentement, même dégoût. Comment attendre quelque chose d'hommes de l'instruction, de l'expérience et du génie politique de Mr Thomas Howard. De fait le choix avait été si humiliant pour nos concitoyens d'origine anglaise que le Manitoban, quoique bien payé, n'a jamais pu se résoudre à défendre d'autres ministres que Monsieur Clarke. Comme nous, il avait confiance dans S.E.M. Archibald mais non dans MM. Howard et Cie. Ce fut sur ces entrefaits, en novembre, que voyant le malaise général nous crûmes de notre devoir d'avertir publiquement les anglais modérés et même les anglais extrêmes que nous aussi nous étions loin d'être aveuglés sur nos ministres français et anglais, et que nous étions prêts à approuver une coalition qui mettrait au pouvoir, non pas des emplâtres ou des harangueurs de bustings, mais des hommes décidés à agir, des hommes inspirant l'estime, des hommes qui s'entendraient sur un programme connu, accepté de tous et qui travailleraient sérieusement. Le temps est précieux. Voilà déjà plus d'un an passé sans aucun profit, sans que pas une question n'ait été même abordée; ne devions-nous ne pas tenter un effort au nom de la bonne cause, au nom des intérêts les plus chers du pays? Nous avons parlé; nous avons dit les périls de la situation. Nous avons indiqué le remède au risque d'être en butte aux attaques personnelles, et aux imputations les plus outrageantes. Grâce à Dieu, les bonnes paroles ont fait leur chemin dans la population; le peuple a ouvert les yeux sur les belles promesses et la ridicule jactance de M. Clarke, rendu immortel par sa loi contre les chiens. Monsieur Girard pendant ce temps-là travaillait à se faire nommer Sénateur, tout en laissant croire aux gens que le zèle de la chose publique occupait seul son coeur et tous ses instants. Monsieur Girard est nommé sénateur, c'est bien, mais est-ce que M. Girard peut dire, la main sur la conscience qu'il a mérité cette haute distinction? Nommé Ministre par hasard comme M. Thos. Howard et M. Clarke n'est-il pas aussi un peu nommé Sénateur par hasard? Nous serions les premiers à vanter nos hommes publics s'ils avaient réglé quelqu'une des graves questions qui surchargent la politique de ce pays: mais ils n'ont rien fait; ils ont trompé nos espérances; la population est mécontente de ce qu'on recule au lieu d'avancer; et même, aujourd'hui on les voit, au lieu de faire un courageux effort, passer leur temps à user de tous les petits moyens pour sauver une position qui s'écroule. Eclairer le peuple sur ses vrais intérêts n'est pas chercher à le diviser; au contraire, c'est l'empêcher d'être trahi, et c'est ce que nous faisons. Instruire le peuple pour empêcher la perte d'un temps précieux n'est pas travailler dans l'intérêt des orangistes; c'est cette instruction que nous avons entreprise et que nous poursuivons avec fermeté et conviction. Ceux qui veulent tromper prétendent que nous divisons et que nous fesons la besogne de nos ennemis: de tels arguments peuvent faire peur à des enfants, mais non à des hommes doués du moindre bon sens. Il se joue dans notre province une comédie qui dure déjà depuis trop longtemps; espérons qu'elle va cesser avant de devenir tragédie. Dans tous les cas, si elle continue à se jouer, personne plus tard, quand tous les yeux seront ouverts, ne pourra nous accuser de lâches complaisances ou de complicité. Dans un pays où le régime constitutionnel serait établi depuis quelques temps une administration comme celle de MM. Girard, Clarke et Boyd n'aurait pas reçu trois mois; le mépris et le ridicule l'aurait vite écrasée: ici, hélas, il faut plus de temps, et ce temps qu'il faut est un des biens les plus précieux qui se perd pour la nation.